Qu’est-ce que l’Evidence Based Practice
On en entend parler à toutes les sauces actuellement car l’Evidence Based Practice est entrée dans la formation des étudiants kinés. Qu’est-ce que l’Evidence Based Practice exactement?
En médecine on parle d’Evidence Based Medicine (EBM), la médecine basée sur les preuves, en kinésithérapie on parlera de Evidence Based Practice (EBP), la pratique basée sur les preuves.
L’article qui fait référence pour la définition de l’EBM est celui de David Sackett (Sackett DL, et al. Evidence based medicine: what it is and what it isn’t. BMJ 1996 ; 312 : 71-72).
Cependant l’EBM est critiquée. Malgré ces beaux mots, il faut savoir que certains parlent d’un concept dogmatique et réductionniste remettant ainsi en cause le fondement même de l’EBM quand à son aide à la prise de décision thérapeutique.
Voyons un peu en détail tout cela…
Définition
« L’utilisation consciencieuse et judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient. »
Qu’est-ce que ça implique?
L’EBP est classiquement décrit comme le point de rencontre de trois dimensions:
- l’évaluation clinique du thérapeute ainsi que les compétences cliniques du thérapeute
- les meilleures données actuelles de la recherche clinique
- les choix et les préférences du patient
Compétences et évaluation clinique du thérapeute
Ce n’est donc pas une démarche basée seulement sur les preuves issues de la recherche clinique. L’EBP fait appelle directement à l’expérience et au jugement du kinésithérapeute.
Voici ce que l’on peut lire dans l’article de Sackett sur l’EBM:
« Without clinical expertise, practice risks becoming tyrannised by evidence, for even excellent external evidence may be inapplicable to or inappropriate for an individual patient. »
« Sans l’expertise clinique, la pratique risque de devenir dictée de manière tyrannique par la preuve, vu que même d’excellentes preuves externes peuvent être inapplicables ou inappropriées pour le patient spécifique »
C’est bien souvent une erreur de concevoir la pratique basée sur les preuves comme venant suppléer ou nier l’expertise du praticien.
Les auteurs insistent sur le fait que pour que les données soient « probantes » (autre traduction du mot Evidence) elles doivent être la rencontre d’une évaluation de l’extérieur impliquant les données de la science et de l’évaluation de l’intérieur, du praticien avec son patient dans ce contexte particulier.
Les meilleures données actuelles de la recherche clinique
De quelles données cliniques externes parle-t-on?
Les auteurs entendent par données cliniques, les recherches cliniques sur les tests diagnostiques centrés sur le patient les plus exacts et précis, la puissance des marqueurs pronostiques, et l’efficacité et l’innocuité des schémas thérapeutiques, de réadaptation et de prévention.
Voici un document intéressant pour vous permettre de comprendre l’utilisation des niveaux de preuve:
http://www.cebm.net/wp-content/uploads/2014/06/CEBM-Levels-of-Evidence-French-2.1-Introduction.pdf
Les niveaux de preuve d’Oxford 2011:
http://www.cebm.net/wp-content/uploads/2014/06/CEBM-Levels-of-Evidence-French-2.1.pdf
Les choix et les préférences du patient
L’EBM intègre la décision du patient. En effet la prise de décision thérapeutique doit être soumise à la décision du patient, associant une bonne information du patient, prenant en compte ses droits, son vécu, ses préférences.
Il est également primordial de prendre en compte la demande du patient. Dans l’idéal, le patient peut choisir son traitement en toute connaissance de cause (enjeu, risques, probabilité,…).
Là encore il ne s’agit pas pour le thérapeute d’imposer sa volonté ou encore de donner tout pouvoir au patient quand à ses soins. Nous sommes bien dans une synthèse intelligente et compassionnelle de la relation thérapeutique.
La démarche EBM
- La question clinique, c’est à dire l’établissement d’une question clinique précise et pertinente (type de question clinique, modèle PICO)
- La recherche de données probantes (moteur de recherche, formulation des mots clés, sélections des études)
- La critique par le thérapeute des résultats scientifiques trouvés, leur utilité, leur validité (hiérarchisation des études, types d’études, niveaux de preuve, recherche de biais, pertinence clinique)
- L’application des résultats au patient (contexte, rapport bénéfice-risque, moyens disponibles,etc)
- L’autoévaluation des résultats cliniques conduisant parfois à une nouvelle question clinique, un arrêt des traitements,…
Cette démarche en 5 étapes repose sur une méthodologie, où chaque étape nécessite un approfondissement, un enseignement, une mise en pratique. Je vous renvoie à ce document présentant une ébauche de chacune de ces étapes:
http://www.biusante.parisdescartes.fr/ressources/pdf/ebm-tutoriel-biusante.pdf
La critique de l’EBM
Comme je rejette avec virulence tout dogmatisme (c’est une phrase un peu barbare pour dire que je déteste quand on érige une règle qui serait incontestable), je vous invite à lire cet article d’Alain Masquelet:
On peut notamment y lire:
« faire la critique de l’EBM ce n’est pas dénigrer l’EBM, bien au contraire. Il s’agit de cerner au plus près (c’est le sens étymologique du verbe critiquer) le domaine de validité de l’EBM et de ne pas l’invoquer de façon quasi rituelle sous peine de tomber dans un nouveau dogmatisme. Ce qui me paraît préjudiciable pour notre exercice c’est d’assujettir intégralement la médecine clinique à l’EBM. »
EBM et dérive thérapeutique
L’EBP peut-elle consduire à une dérive thérapeutique? La réponse en malheureusement oui comme pour n’importe quel système. Là encore Masquelet nous éclaire sur le sujet:
« Cependant deux grandes dérives de l’EBM sont aisément repérables qu’on pourrait appeler les extensions illégitimes de l’EBM :
- la première consiste à transposer les conclusions des données probantes in extenso à un patient singulier. L’EBM ne peut être qu’une aide à la décision médicale ; elle ne saurait se substituer à la décision elle-même ;
- la deuxième dérive est plus insidieuse : l’EBM peut servir de couverture à la justification des programmes de rationalisation des ressources et se transmuter par des éléments extérieurs à la médecine « evidence based management. » »
Conclusion
La pratique de l’EBP est une démarche louable. Qui apporte de nouvelles données et notamment qui permet de donner un sens à la somme des données disponibles actuellement. Elle doit être prise comme une chance de nous améliorer.
Malheureusement elle n’est pas dénuée d’imperfections, elle n’est surtout pas un moyen de se prémunir des dérives notamment thérapeutiques. Car sur ce sujet je pense qu’elle n’améliore pas l’homme (le thérapeute) qui est seul à prendre sa décision.
En revanche elle est certainement un outil intéressant pour le thérapeute consciencieux, compassionnel, attentif à son patient pour l’aider dans sa prise de décision clinique.
Comme pour beaucoup de nouvelles choses, il y a les TOUJOURS POUR qui ne jurent que par leur dogme, les TOUJOURS CONTRE qui s’opposent corps et âmes au dogme des autres.
Mais la solution est dans le dépassement des clivages, les preuves de la recherche clinique doivent venir sublimer la pratique du thérapeute et non la remplacer mais il ne faut pas non plus devenir aveugle à de nouvelles données.
Toute méthodologie est à prendre avec intérêt et indépendance pour lui accorder importance sans en faire un dogme.
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