De l’importance des mots en rééducation

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« La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe »

Un super papier du kiné Mike Stewart (allez faire un tour sur son site) vient de sortir dans le JOSPT (juillet 2018), il s’intitule « Sticks and stones : The impact of language in musckuloskeletal rehabilitation« .

On pourrait traduire par : « La bave du crapaud : L’impact du langage en rééducation musculo-squelettique. »

Pour la petite histoire, sticks and stones fait référence à une expression anglaise :

« Sticks and stones may break my bones, but words will never hurt me »

Littéralement, « les bâtons et les pierres peuvent rompre mes os, mais les mots ne me blesseront jamais ».

Faites-vous attention à ce que vous dites à vos patients?

Avez-vous déjà envisager que ce que nous disons à nos patients en kiné pourrait les rendre plus malades que les traitements que nous leur préconisons?

Pas plus tard qu’hier, j’expliquais à un copain qu’il avait une instabilité d’épaule, tout fier de mon diagnostic… Ça fait un moment qu’il avait mal mais je ne m’en étais jamais trop préoccupé. Douleurs persistantes d’épaules, accentuées lors de mouvements rapides dans des amplitudes plutôt inhabituelles, il se plaint également de ne pas pouvoir porter des choses lourdes dans ces conditions.

Et puis en discutant avec lui et en repensant à cet article de Mike Stewart, je me suis rendu compte que je n’avais peut être pas tout à fait bien joué la partie…

Vous aimeriez acheter une voiture avec un super moteur mais instable? Parce que c’est bien comme ça que je vois son épaule, aujourd’hui elle est instable mais avec du boulot et de la persévérance rien n’empêche de penser qu’il pourra revenir à son niveau antérieur. Donc un super moteur pas au top en ce moment… Mais avouez que c’est un poil angoissant de rouler dans une voiture instable? Si vous aimer rouler vite, vous oseriez rouler vite d’ailleurs avec cette voiture?

Je dis ça parce que le copain, j’aimerais bien qu’il reprenne le sport, il a joué au rugby… A l’issue de toutes mes explications, il me dit qu’ il n’imagine pas du tout reprendre un jour le rugby avec son épaule instable… Alors Julien, t’as été bon avec ton pote là? Franchement je crois que j’ai fait une grosse connerie… Et vous en connaissez la raison? Et bien c’est certainement et uniquement ce que je lui ai dit, non pas son manque de confiance en lui ni même l’état patho-anatomique de son épaule…

C’est d’ailleurs le sens de la publication de Mike Stewart, les mots que nous employons ont un impact et peuvent donner le meilleur, rassurer le patient, l’amener sur le chemin de la guérison, comme le pire, l’inquiéter sur son état de santé, faire passer sa plainte de aiguë à chronique.

Remettre en question sa communication

Si nous avons un problème de communication, ce n’est pas forcément une évidence car le problème principal est que par définition son effet est inconscient. Si nous étions conscients de cela nous changerions immédiatement nos façons de communiquer.

Premièrement se remettre en question n’est pas évident et changer quelque chose d’inconscient est encore plus dur.

La première étape avant de changer est donc peut-être d’en prendre conscience. Isn’t it ?

La deuxième chose sur laquelle on doit faire un effort de prise de conscience est que l’on peut nuire aux patients simplement avec nos mots, pas simplement être inefficaces, mais bien faire plus de mal que de bien.

Mais cela signifie aussi que l’on peut grandement rassurer les patients avec d’autres mots mieux choisis.

Que doit-on faire ?

Il s’agit de dissocier notre langage scientifique du langage courant, c’est à dire faire un effort de vulgarisation. Vulgariser nos propos pour mieux se faire comprendre est une chose.

Une autre chose est de s’exprimer avec en tête l’objectif de rassurer le patient et le motiver à faire et à penser ce qui est bien pour lui.

Attention, chaque patient est différent, certains patients seront rassurés si vous avez un discours très médical, que vous semblez connaître votre travail mais êtes vous certains que cela représente la majorité de nos patients

Mike Stewart et la littérature en général semblent certains du contraire, et pour de bonnes raisons :

En effet, lorsque l’on expérimente une maladie, une plainte, une douleur, nous nous retrouvons en situation de vulnérabilité notamment émotionnelle.

Pour preuve, Mike Stewart cite la publie de Sillence et al. qui ont montré que les patients faisaient plus confiance à leur famille et leurs amis concernant les informations en santé plutôt que les autres sources d’information. Ce qui montre que le choix est donc bien plus émotionnel que rationnel car les patients savent très bien que leurs amis ont fait moins d’année de médecine que leur médecin traitant…

En somme, il s’agit d’abord de faire preuve de plus d’empathie, de compassion, se mettre à la place du patient, faire l’effort de le comprendre. Mais là encore un piège se dessine pour le thérapeute. Car faire preuve d’empathie ne veut pas dire s’inscrire en sauveur, en guérisseur. Ce qu’on appelle le réflexe correcteur en entretien motivationnel, c’est cette fameuse tendance à penser que nous guérissons le patient, nous faisons tout pour lui, nous savons ce qui est le mieux pour lui, etc. C’est très nocif car cela induit souvent une notion de dépendance, de relation parent-enfant, vous êtes le parent, le patient est l’enfant et la prochaine fois qu’il aura un problème, on l’aura conditionné pour qu’il nous consulte…

C’est avec un autre état d’esprit qu’il faut lire l’article de Mike Stewart, nous devons amener le patient sur son propre chemin vers la guérison.

La conséquence de nos mots doit en effet se traduire en acte, on a l’habitude de demander aux patients de se reposer, de faire leurs exercices, mais les mots que nous employons sans y faire attention, conduisent-ils vraiment à adopter des comportements vertueux, n’induisent-ils pas de la crainte, de l’inquiétude, du catastrophisme, de l’évitement? Auquel cas, nous sommes responsables de la chronicisation de certains patients.

Est-ce la maladie ou la façon de la vivre qui est importante ?

Dans son article, Mike Stewart cite 3 publications (Eccleston 2007, Ivarsson 2013, Linton 2005) pour affirmer que nous avons de nombreuses preuves que les facteurs psychologiques sont plus efficaces pour prédire les niveaux de douleurs et d’incapacités que les facteurs patho-anatomiques. A blessure égale, c’est la façon de la vivre qui influence le plus le pronostic de nos patients.

Ici Mike Stewart met en lumière un paradoxe certain, à force de se concentrer sur les facteurs patho-anatomiques en kiné, on renforce les facteurs psychologiques négatifs, car bien souvent ils sont mal compris par nos patients et l’on rentre alors dans le cercle vicieux de douleur et d’incapacité entretenues par le thérapeute.

Le prolongement de ce paradoxe est qu’à force d’apprendre et de ne regarder que les données patho-anatomiques, nous délaissons les facteurs psychologiques et nous n’employons que des termes médicaux patho-anatomiques pour parler des problèmes de nos patients…

Prenons un exemple, patient 42 ans vient pour rééducation du genou droit après opération d’un ménisque. C’est la description habituelle lorsque l’on commence à parler d’un cas clinique. Cela ne nous dit cependant absolument rien des véritables attentes du patient. Patient chef d’entreprise veut reprendre le travail le plus vite possible ou alors patient sportif accompli aimerait retrouver son niveau de sport antérieur, ce sont 2 patients sont bien différents vis à vis de leurs attentes… Dans les 2 cas, on a envie de dire au patient « impatient » en lui disant que si il reprend trop tôt, sa lésion méniscale risque d’avoir été opérée pour rien mais cela aura surtout pour conséquence de faire peur au patient. Et pourtant en tant que thérapeute nous savons qu’il ne faut pas griller les étapes dans ce genre de rééducation, mais était-ce la bonne façon de le formuler ?

En pratique, ça donne quoi ?

Mike Stewart affectionne particulièrement les métaphores, en voici une qui devrait vous plaire :

« words are like toothpaste;
once out of the tube, they are impossible
to put back in »

« Les mots c’est un peu comme le dentifrice,
une fois en dehors du tube, ils sont impossibles à remettre dedans »

Il est urgent de changer notre façon de penser et de communiquer si l’on veut que nos patients changent eux aussi leur point de vue sur leur maladie.

Le but est de viser à employer un langage en rapport avec les espoirs et les attentes du patient plutôt que de se concentrer sur les lésions ou la pathologie. La pathologie et la blessure c’est notre truc à nous, c’est ce qui nous intéresse, c’est le métier que nous avons choisi, mais ce n’est que rarement le cas pour notre patient, il n’a pas choisi, encore moins sa pathologie et ce qui l’intéresse c’est d’aller mieux pas de devenir expert en arthropathie lombaire ou en neurosciences de la douleur.

Dans des nombreuses pathologies invalidantes avec séquelles, il est important de diriger notre discours vers ce que les patients peuvent ou pourront faire plutôt que de se concentrer sur ce qu’ils ne peuvent pas faire.

Mike Stewart donne des cours en France avec l’Agence EBP, voici les mots qu’il vous conseille d’éviter et ce par quoi vous pouvez les remplacer :

Alors vous iriez où avec un nerf coincé? Vous feriez quoi avec une maladie chronique ? Vous reprendriez quoi comme sport avec une épaule instable ?

Peut-être qu’en faisant bouger les zones moins mobiles vous pourriez partir en weekend. Peut être que vous pourriez surpasser cette affection qui semble persister. Peut-être qu’avec plus de force et de contrôle, vous pourriez rejouer au rugby.

Prenez conscience de ça…

Rappelez vous, si nous ne sommes pas clairs, pas précis, si nous ne contrôlons pas bien notre communication, c’est principalement l’état émotionnel du patient qui conditionnera l’interprétation qu’il fera de nos propos. La fragilité, la blessure, la douleur ne sont évidemment pas propice à une interprétation positive des choses.

Lors de cette situation de vulnérabilité, un biais attentionnel conduit naturellement les patients à chercher des informations qui supportent leurs croyances. Ils seront donc plus attentifs à vous entendre parler d3les inqui0te plutôt que ce qui peut les guérir.

Mieux communiquer est donc un vrai challenge.

D’autant que de faibles attentes de récupération de la part du patient est fortement prédictif de mauvais résultats.

Pour reprendre une partie de la conclusion de l’article de Mike Stewart, nous devons, pour nous aider à adopter une bonne attitude, garder en tête des questions telles que «Qu’est-ce que tout cela signifie pour mon patient?» ou « Comment puis-je l’aider à adopter une attitude positive dans cette situation? » 

Eccleston and Crombez (2007) soulignent que la douleur est un habitat idéal pour ne pas s’épanouir.

“Pain is an ideal habitat for worry to flourish.”

Ainsi nos mots, mal choisis, peuvent contribuer à mettre de l’engrais sur un terreau déjà propice au développement de la douleur.

CQFD

Retrouvez l’article de Mike Stewart ici

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