Maman et kiné libéral, comment ça se passe?

Bonjour Céline, tu es kinésithérapeute, peux-tu te présenter en quelques lignes notamment ton activité en tant que maman?

Bonjour, je suis kiné libérale, seule dans mon cabinet, en campagne proche de Nancy. J’ai deux enfants pré-adolescents.

Personnellement je suis secrétaire générale du syndicat de mon département mais je vais répondre à cette interview en tant qu’administratrice de la page Facebook «congé maternité pour les professions libérales conventionnées de la santé ».

Cette page a été mise en route par une consœur, il y a un peu plus de 15 jours. Nous sommes 11 femmes (la plupart asyndicales), de différents âges, avec des situations familiales et professionnelles différentes, notre lien est que nous sommes toutes libérales conventionnées dans la santé.

Le congé maternité devrait être une étape pleine de sérénité pour accueillir un enfant, peux tu expliquer comment cela se passe actuellement? L’assurance maladie ne paie-t-elle pas déjà une indemnité journalière ainsi qu’une indemnité forfaitaire lors du congé maternité comme pour les salariés?

Je vais déjà dire, pour être honnête, que les choses ont bien changé entre la période où j’ai eu des enfants et maintenant.
À mon époque, nous n’avions de la CPAM qu’une prime de naissance de l’ordre de 3000 € et nous avions droit de nous arrêter trois mois, si mes souvenirs sont bons. Ce qui voulait dire que pour avoir un enfant, il fallait faire de sacrées économies avant. Actuellement, les femmes libérales conventionnées ont 16 semaines de congés maternité indemnisées à hauteur de 54 € par jour (moins CSG/RDS), soit 6096 € et une allocation forfaitaire de repos maternel de 3311 €. Elles ont donc un peu plus de 9000 € pour quatre mois, mais ça n’est pas que du net car en attendant, pour toutes , les charges continuent à tomber (URSSAF, CARPIMKO, assurances…) sans parler de celles qui sont titulaires et qui ont les emprunts et charges de leur cabinet. Donc, sur ces 9000 €, il ne reste rien, voir elles sont déjà dans le négatif à la moitié de leur congé maternité.

Récemment, une avancée a été faite pour les médecin libéraux, peux-tu nous expliquer ce qu’elles ont obtenues?

Les femmes médecins libérales conventionnées ont obtenu en plus de ce que les autres ont déjà, une aide forfaitaire de 3500 € par mois pendant trois mois pour celles en secteur 1 et 2066 € par mois pour celles en secteur 2. Ces sommes permettraient donc à mes consœurs libérales, non seulement de payer leurs charges, mais aussi de pouvoir manger et vivre avec un peu de sérénité; car sans ça, heureusement que le conjoint est là, que les banques font des prêts et que la consœur a prévu pas mal d’argent de côté.

La plupart des kinés ont une assurance privée, la prévoyance, qui prend en compte l’éventuel congé maternité pathologique, est-ce que ça complète les revenus pour le congé maternité?

Effectivement, en libéral, nous prenons presque tous une prévoyance mais celle-ci n’intervient que lorsque l’on ne touche rien de la CPAM, donc elle n’intervient qu’en cas de congé pathologique soit avant, soit après le congé légal de maternité.

De plus, d’une prévoyance à l’autre selon le contrat, certaines femmes n’ont rien ou pas grand chose. Non seulement on a le stress du congé pathologique mais en plus le stress de la perte financière.

Tu as parlé des charges de cabinet qui restent à la charge de la kiné titulaire pendant le congé maternité, nous n’avons pas tous les mêmes charges de cabinet, sais-tu comment ces différences pourraient être prises en compte?

Alors quand on parle de kiné en libéral effectivement il y a trois statuts : deux sont conventionnés les titulaires et les assistants mais pas les remplaçants donc déjà là il y a une différence.
En commun, nous avons toutes les charges fixes types URSSAF et CARPIMKO, ne serait-il pas possible de les suspendre pendant ce congé ? Par contre les titulaires auront toujours les charges propres de leur cabinet, je ne pense pas que les banques ou les propriétaires accepteraient une suspension de leur loyer, lol.

On a parlé de l’aspect financier mais je crois qu’il faut expliquer que la gestion du cabinet est une activité qui continue même pendant le congé maternité. En effet, les commandes de matériel par exemple ne se font pas toutes seules. Il en est de même pour l’entretien du cabinet que ce soit le ménage ou les petites réparations. La gestion administrative continue également pendant le congé mat’, ne serait-ce que pour la rétrocession si il y a un remplaçant, tout comme le paiement des factures type électricité, logiciels, etc. Bref dans un cabinet, il y a toujours à faire. On peut comprendre que cela pèse dans un projet bébé…

Revenons au financier, dans beaucoup de cas, la kiné trouve un remplaçant et lui demande une rétrocession n’est-ce pas fait pour compenser justement ces charges de cabinet?

Alors, parlons-en de l’éventuel remplaçant, beaucoup de consœurs ne trouvent pas de remplaçant et quand elles en trouvent, il faut le payer! Un remplaçant se fait payer sur les actes effectués donc, c’est le remplacé qui avance des frais au remplaçant sur des sommes qu’il n’a pas encore forcément perçues.

De plus, actuellement les remplaçants ne sont pas assez nombreux donc souvent les rétrocessions ne suffisent pas pour payer les charges quand on est titulaire. Et l’assistant, lui, doit toujours rétroverser une partie donc il ne gagne rien sur ce remplacement. Il y a même certains conflits qui en découlent, quand l’assistant ou l’associé ne trouve pas de remplaçant car les autres confrères y perdent aussi financièrement et risque une augmentation de la quantité de travail pour assurer la continuité des soins. Ce qui augmente encore le stress de la future jeune maman.

Qu’en est-il dans les désert médicaux? Surtout que pendant un congé mat’ à l’inverse des vacances, on ne peut pas loger le remplaçant chez soi par exemple?

La difficulté à trouver des remplaçants hélas n’est pas que dans les déserts médicaux, et donc c’est là que je dirais, en tant que syndicaliste, que l’on manque fortement de kinés dans la plupart des territoires.

Un congé mat est donc parfois (souvent!) une perte de revenu pour la kiné libérale, d’autant qu’il n’est pas rare que le conjoint gagne moins que la kiné, on peut donc parler d’un réel problème pour envisager sereinement une maternité, non?

Effectivement, pour une libérale, quelque soit la profession du conjoint, décider d’avoir un enfant est un acte d’amour et surtout pas un acte financier. La plupart calcule quand et comment avoir un enfant et je ne parle même pas de celles qui doivent passer par la procréation assistée qui prennent sur leur temps de travail pour aller à leur rendez-vous.

As-tu dans tes consoeurs paramédicales, des femmes qui hésitent à avoir un enfant pour cette raison, ou à avoir un autre enfant?

Oui, certaines consœurs reculent pour avoir un enfant car ce n’est jamais le bon moment financièrement et certaines, comme moi, s’arrêtent à un ou deux car sinon elles ne suivraient pas.

Il est peut être inutile de le rappeler mais la rémunération horaire d’un kiné libéral qui voit un patient par 30min (même en domicile) et qui ne multiplie pas les assistants est extrêmement faible, raison pour laquelle, en plus du besoin en kinesitherapie, les kinés font beaucoup d’heures chaque semaine. L’arrivée d’un enfant, il ne faut pas se le cacher à un coût et nécessite de la présence auprès de l’enfant. N’est-ce pas une seconde raison d’hésitation car la reprise après congé maternité en diminuant ses horaires est aussi une perte de revenu net avec des charges de cabinet qui ne changent pas?

Tu as bien résumé la situation, qui dit enfants dit que l’on veut passer du temps avec, et dans nos professions nous n’avons pas ou peu d’aide type CAF donc c’est difficile d’alléger le planning d’où la nécessité de bien s’organiser avant.

Être une femme en libéral, c’est vraiment pluridisciplinaire, même avec un mari qui nous soutient. C’est gérer son entreprise, ses enfants, sa maison… Il ne faut pas s’oublier dans tout ça. Notre charge mentale est à son maximum. J’ai dû attendre que mes enfants soient plus grands pour faire des formations plus longues, pour m’investir au niveau syndical et pour retrouver du temps pour moi.

En tout cas je suis fière de l’ampleur que prend ce mouvement #CongéMatPourToutes !

Nous avons en 15 jours obtenu près de 57 000 signatures et ça augmente toutes les heures. J’espère vraiment que Syndicats et Ordres de toutes ces professions qui nous réunissent (infirmières,masseur-kinésithérapeutes, sage-femmes, dentistes, podologues, orthophonistes et orthoptistes) sauront profiter de ce mouvement d’ampleur pour négocier avec nos ministres une égalité de tous pour toutes !

Partagez? ça fait vivre le blog!

Un commentaire

  1. J’ ai vraiment apprécié cette interview qui reflète bien la réalité !
    Enceinte de mon 3 eme enfant et titulaire de cabinet depuis 2 ans, je m inquiète un peu de ma situation financière dans qq mois…
    Je trouve injuste ces différences de traitement avec les femmes médecins et souhaiterai signer cette pétition dont vous parlez dans l interview.
    Merci de m indiquer la démarche à suivre.
    Cordialement

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.