De quel mal de dos souffre-t-on?
Vous êtes vous déjà dit qu’une meilleure maîtrise des classifications des lombalgies pouvait améliorer nos prises en charge kiné?
Mieux comprendre les lombalgies
Un article scientifique de Bogduk de 2009 (On the definitions and physiology of back pain, referred pain, and radicular pain) fait le point sur les différentes définitions des lombalgies et m’a permis de mieux structurer ma compréhension de la fameuse « maladie du siècle » (du XXème??).
Il s’agit de comprendre si notre patient souffre de lombalgie nociceptive, de douleurs somatiques projetées, de douleurs radiculaires ou de radiculopathies. Tout en évinçant des termes tels que lombo-sciatique, pseudo-sciatique ou encore douleur pseudo-radiculaire.
J’ai trouvé l’article concis et clair sur le sujet, j’espère que ça vous aidera aussi à mieux prendre en charge nos patients.
Une réflexion erronée
Au départ, ma construction intellectuelle de la lombalgie était:
– est-ce que le patient a mal au dos ?
– est-ce qu’il présente une irradiation dans les membres inférieurs ?
– est-ce que cette irradiation présente des atteintes nerveuses telles que déficit de sensibilité, déficit moteur et déficit des réflexes ostéo-tendineux ?
A l’issue de toutes ces questions, j’avais le sentiment d’avoir fait un bon interrogatoire « initial » (sans parler des circonstances de survenues, contexte, administratifs, etc. évidemment).
Mon esprit était ensuite concentré sur mon examen physique et ma prise en charge.
A vrai dire, pour une grande partie d’entre nous (kiné) on ne comprend pas assez bien la lombalgie et ses différentes entités pour établir un diagnostic précis afin de mettre en place une prise en charge optimale.
Des entités différentes
L’hypothèse communément admise est que toute douleur irradiant dans le membre inférieur est une sciatique (ou une cruralgie!) en fait rien n’est moins vrai car il existe dans la plupart des cas une douleur projetée sans atteinte de la racine nerveuse.
J’ai donc appris qu’il fallait en finir avec nos termes habituels du langage courant de sciatique, lombosciatique, sciatalgie et autre cruralgie, non pas que ces termes soient faux mais plutôt car ils sont superflus et surtout car cela entraîne une confusion entre douleur irradiante et atteinte nerveuse.
Une question de définitions
Il faut donc que l’on fasse un effort pour contredire le langage courant issu de vieilles compréhensions de la douleur pour s’imprégner de nouvelles entités que sont la lombalgie nociceptive (nociceptive back pain), la douleur somatique projetée (somatic referred pain), douleur radiculaire (radicular pain) et radiculopathie (radiculopathy). Ces différentes entités ont des caractéristiques et des causes différentes et donc leur prise en charge différera.
Comprendre ces différentes présentations cliniques est certainement un des enjeux les plus important pour améliorer nos pratiques et mieux prendre en charge nos patients lombalgiques.
Pourquoi il est important de comprendre ces différences?
Une des raisons pour laquelle il est utile de comprendre les différences entre ces 4 entités est l’utilité des imageries.
En effet, la douleur radiculaire et la radiculopathie, parce qu’elles impliquent une racine nerveuse, permettent de mettre en lumière la région causale du problème par les imageries. Car cette cause est bien souvent une hernie discale à laquelle s’associe une inflammation de la racine nerveuse.
A l’opposé, l’imagerie est inappropriée pour des lombalgies nociceptives ou des douleurs somatiques projetées car elles n’impliquent pas d’atteinte d’une racine nerveuse. Si on fait une imagerie, on prend le risque d’interpréter des faux positifs pouvant conduire à une chirurgie inutile au pire et au mieux on mettra nos patient dans une situation délicate (catastrophisme, kinésiophobie, effet nocebo) si on leur annonce des protrusions discales, disques dégénératifs et autre arthrose zygapophysaire qui ne présentent que rarement un lien avec la clinique du patient et ne nous aide en rien dans notre prise en charge.
Tout ceci est d’autant plus important que les douleurs radiculaires représentent tout au plus une prévalence de 12%.
Ce qui signifie que les douleurs somatiques projetées et les lombalgies nociceptives représentent la grande majorité de nos patients.
Comprendre la différence entre douleur radiculaire et lombalgie nociceptive permet aussi de comprendre pourquoi certains patients continuent d’avoir des lombalgies après chirurgie de leur hernie discale (qui entraînait une douleur radiculaire) mais qui n’était pas la cause de la lombalgie.
Pour les feignasses il y a une infographie sur les lombalgies au bas de cet article!!!
La lombalgie nociceptive
Une lombalgie nociceptive est une douleur lombaire provoquée par une stimulation négative d’une structure de la colonne lombaire. La structure postérieure des disques vertébraux est la source la plus forte de lombalgie nociceptive. Mais ces lombalgies peuvent avoir pour origine n’importe qu’elle autre structure lombaire. Cliniquement, on appellera lombalgie nociceptive une douleur localisée au niveau lombaire, douleur qui est habituellement décrit comme sourde et permanente.
La douleur somatique projetée
La douleur somatique projetée est caractérisée par une douleur sourde, permanente, qui tiraille, parfois une sensation d’étau qui s’étend dans un membre inférieur et qui s’installe dans une région relativement fixe et large. Les limites de cette région sont souvent floues pour le patient mais leur centre est bien décrit. La plupart du temps, elle intéresse la région glutéale et la partie proximale de la cuisse mais peut s’étendre jusqu’au pied.
La localisation des douleurs ne respecte pas les dermatomes et il n’existe pas de signes neurologiques. En effet, la source de la douleur n’impliquent pas la racine nerveuse mais provient des tissus somatiques de la colonne lombaire. Et la douleur est perçue dans des régions innervées par des nerfs autres que ceux qui innervent le site d’origine de la stimulation. C’est la stimulation néfastes des terminaisons nerveuses des structures lombaires telles que les disques, les articulations zygapohysaires, les sacro-iliaques par exemple qui sont à l’origine de ces douleurs.
La douleur somatique projetée est toutefois perçue dans les régions qui partagent la même innervation segmentaire que la source de la douleur. Le schéma douloureux correspond à l’innervation segmentaire des tissus profonds du membre inférieur tels que les muscles et les articulations.
Dans tous les cas, il faut retenir que malgré l’irradiation dans les membres inférieurs, la racine nerveuse n’est pas impliquée, on ne peut donc pas appeler cela une sciatique, l’imagerie est inutile et la douleur somatique projetée est le cas d’irradiation le plus fréquent loin devant la douleur radiculaire.
La douleur radiculaire
La douleur radiculaire est une douleur provoquée par des décharges ectopiques (inappropriées) émanant de la racine dorsale du nerf spinal ou de ses ganglions. Ces décharges ectopiques semblent avoir pour origine une inflammation du nerf affecté le plus souvent en raison de la présence d’une hernie discale.
La douleur radiculaire est qualifiée de très désagréable, sans pour autant présenter les caractéristiques d’un douleur nociceptive, elle est habituellement lancinante, intense et/ou électrique (questionnaire DN4). Elle voyage le long du membre inférieur et représente une bande pas plus large que 5 à 7cm.
Pour qu’une racine nerveuse provoque une douleur radiculaire, il ne suffit pas qu’elle soit comprimée, il faut qu’elle soit préalablement inflammée.
Avec une prévalence de 12% c’est un cas rare mais c’est celle-ci qui nécessite une imagerie et qui présente une inflammation. C’est dans ce type de douleur que l’on remplace le terme de sciatique par celui de douleur radiculaire.
La radiculopathie
La radiculopathie présente la dernière entité décrite ici. C’est une entité à part entière car il peut exister des radiculopathies sans douleur et des douleurs radiculaires sans radiculopathie.
Une radiculopathie est un état neurologique dans lequel la conduction le long d’un nerf spinal ou ses racines (motrice ou sensitive) est bloquée. Lorsque ce sont les fibres sensitives qui sont bloquées le patient souffre d’engourdissement cutané, dans le cas d’un blocage des fibres motrice, la faiblesse musculaire est le symptôme observé. De plus, une diminution des réflexes ostéo-tendineux (l’utilité du marteau réflexe en kiné) peut être observé en présence d’atteinte nerveuse motrice et sensitive.
La distribution de l’atteinte sensitive suit un dermatome alors que l’atteinte motrice suit un myotome. En revanche, malgré ce que l’on pense classiquement, la distribution d’une douleur radiculaire ne permet pas de déterminer la racine nerveuse impliquée, il faut l’apparition d’une atteinte sensitive ou motrice pour incriminer le segment à l’origine du bloc. Ainsi l’EMG n’est que rarement nécessaire car un examen clinique kiné pertinent est souvent suffisant.
Conclusion
Bien évidemment ces 4 entités peuvent se succéder ou se superposer, il est de notre rôle de clinicien de les distinguer. La douleur somatique projetée peut notamment être analyser à la lumière de la centralisation de la douleur (voir mon article sur le phénomène de centralisation)
Enfin l’auteur suggère qu’une diminution des confusions entre douleur somatique projetée et douleur radiculaire permettrait une meilleure prise en charge des patients et notamment une diminution des effets iatrogènes notamment des chirurgies inutiles.
J’espère que cet article vous sera autant utile qu’à moi. Et vous aurez noté que l’on parle de la partie périphérique des atteintes lombaires donc la dimension nociceptive de la douleur. Cela n’empêche pas, bien au contraire, de s’intéresser aux mécanismes centraux concernant la douleur (pléonasme!)! Bonne rééducation!
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