Une critique de l’EBP

le pratique basée sur les preuve

En lisant des articles sur l’Evidence Based Practice et en voyant le nombre de débats que soulève l’EBP (Qu’est-ce que l’EBP? dans les discussions sur les réseaux sociaux de kinés, je me suis dit que l’on manquait d’arguments scientifiques concernant la critique de l’EBP. Je suis tombé un peu par hasard sur un article de 2000 sur le sujet Bridging the gap. The separate worlds of evidence-based medicine and patient-centered medicine. Bensing J. Patient Educ Couns. 2000 Jan;39(1):17-25.

le pratique basée sur les preuve

 

EBP, RCTs et Guidelines

L’Evidence Based Practice repose en partie sur les preuves fournies par les études scientifiques. Les gold standards de ces études sont les Essais Cliniques Randomisés (RCT pour les anglophones) et les guidelines (recommandations professionnelles) reposant sur des méta-analyses et revues de la littérature de ces RCT. C’est actuellement le meilleur moyen scientifique que l’on ait trouvé pour tester et mettre en évidence l’efficacité de nos pratiques.

 

Le problème des RCTs

Toutefois les RCT posent quelques problèmes quant à leur propension à représenter la réalité du terrain. Autrement dit, est-ce que ce que l’on observe en pratique clinique est vraiment reflété par les études scientifiques?

Par exemple, pour les patients coureurs présentant des douleurs fémoro-patellaires est-il pertinent des les évaluer sur tapis roulant pendant 20min à 12km/h (ce qui est le cas de nombreuses études)?

En effet, pour faire une étude, il est nécessaire de recruter des patients donc si je fais une étude sur les coureurs souffrant de douleurs fémoro-patellaires, il faut trouver des patients remplissant certains critères d’inclusion qui correspondent notamment à la pathologie étudiées: douleurs fémoro-patellaire. Le recrutement est ainsi  » maladie centré ».Ceci correspondra donc à des douleurs, face antérieur du genou chez des patients pratiquant la course à pied, douleurs présentes lors de la course, de l’accroupissement, de la montée d’escalier, des exercices de squat. Mais déjà globalement, tous les patients que l’on voit au cabinet ne présentent pas tous ces critères… Mais surtout, pour le recrutement, il existera des critères d’exclusion! Les patients ne devront pas présenter de co-morbidités susceptibles d’interagir avec leurs douleurs, donc pas de patients opérés, ni présentant d’autres pathologies organiques du genou, ni même des chevilles ou des hanche voire même du dos concernant leur potentiel influence sur l’évaluation de course. Mais il faut aller plus loin dans l’exclusion, on évitera aussi les enfants, les personnes âgées, les troubles psychiatriques, les illéttrés (car il faut signer le consentement) etc. Mais même en cas d’inclusion de certains facteurs de co-morbidité, on randomise les groupes de patients afin d’annuler ces éventuels facteurs considérés comme « perturbants » pour l’étude en cours. Donc avec tous ces critères, quel patient réel sélectionne-t-on et en quoi cela représente-t-il les patients que l’on voit en pratique clinique?

Comme il est préciser dans l’article: « c’est pourtant bien cette diversité de patients qui remplit notre salle d’attente ».

 

Doit-on s’inquiéter que les RCT soient effectués sur des maladies spécifiques alors qu’ils doivent s’appliquer à des patients réels et divers? Les résultats, considérés comme les plus pertinents et efficaces concernant nombres de pathologies rencontrées en pratique clinique sont souvent prouvés sur des échantillons de patients extrêmement faibles, ne représentant pas la diversité des patients rencontrés en pratique clinique.

 

Et le patient dans tout ça?

Grâce à ces études scientifiques, le praticien se retrouve avec des connaissances sur des groupes de patients dans le même état clinique. Mais ces connaissances ne sont aucunement nourries des connaissances et expériences du patient auquel ils ont à faire, ni même des besoins ou des préférences du patient concernant son problème.

Pour cette raison, l’Evidence Based Medicine a ajouté aux preuves scientifiques et à l’expérience du praticien, une troisième dimension qui concerne les préférences du patient. (Détails à retrouver sur l’article: Qu’est-ce que l’Evidence Based Pratice?)

 

Alors t’y vas ou t’y vas pas?

Pourtant les praticiens ne faisant pas le choix de l’application de la meilleure preuve scientifique pour leur patient, en raison de leur expérience et de la préférence du patient feront face à un sérieux doute voire même à une crise leur faisant croire à la faute professionnelle. C’est ainsi que peut s’installer une peur dans la prise de décision clinique. Le clinicien aura alors une plus forte propension à se rapprocher des guidelines de son association professionnelle plutôt que d’écouter son intuition et la préférence du patient. D’autant plus que les Ordres professionnels, les associations de patients, les instances de santé publiques et les assurances attendent des professionnels une optimisation des soins pour des groupes de patient et non pour un individu isolé surtout si l’issue de la prise de décision clinique en fonction de l’intuition du thérapeute et des préférences du patient est un échec voire est suivi de séquelles ou de perte de chance pour le patient.

Il peut ainsi être tentant pour le praticien de délaisser la relation humaine pour se retrancher derrière ses recommandations professionnelles d’autant plus quand la prise de décision clinique présente un enjeu important pour le patient.

 

Conclusion

Dans cet article, j’ai découvert l' »approche centrée sur le patient », concept différent de l' »approche basée sur les preuves » dont j’espère pouvoir rapidement vous faire un article.

Cette critique de l’evidence-based practice me semble légitime sans pour autant (pour moi) remettre en cause la pertinence et la valeur des recherches cliniques qui sont passées, en cours et à venir. Ce sont d’ailleurs ces critiques qui font avancer mon raisonnement à ce sujet et qui m’incite à aller plus loin dans ces réflexions. Je ne doute pas que cet article sera sujet à débat, en espérant qu’il soit constructif…

 

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6 commentaires

  1. Bonjour.
    Je me présente je m’appelle Philou je suis kinésithérapeute, ingénieur de recherche en biostatistiques et ingénieur en biomécanique tissulaire.
    Merci d’avoir publié cet article très intéressant sur le sujet de l’EBP.
    Je souhaitais réagir à vos propos car ceux ci soulèvent un problème que j’aperçois souvent et qu’il m’est permis de voir grâce à ma formation en statistiques.
    En effet, il faut savoir que bien que les RCT sont, certes la référence pour pouvoir démontrer un mécanisme explicatif d’un médicament (entre autres), ces derniers trouvent difficilement leur application en kinésithérapie. Ceci pour les raisons évoquées dans cet article. Mais aussi car la kinésithérapie ne peut se détacher de la relation soignant-soigné qui influence directement la qualité de notre traitement. C’est ce qu’on appelle l’alliance thérapeutique (très bon sujet à développer dans un prochain post ;) ).
    La kinésithérapie n’a à mon sens aucun intérêt à utiliser les RCT (en tout cas dans l’état actuel des connaissances dans le domaine), en revanche elle manque crument de recherche épidémiologique visant simplement à prouver son efficacité (indépendamment du mécanisme physiologique explicatif). Dans le cas de la recherche épidémiologique, bon nombre de problèmes évoqués dans cet article se trouvent alors caduques car contournables mathématiquement (analyses multivariées avec ajustement entre autre…).
    De plus, les statistiques se développent de sorte qu’il est de plus en plus admis et possible d’évaluer la part de subjectivité (induite par l’alliance thérapeutique) dans une étude.
    Fort de ces études d’efficacité, le corps kinésithérapique pourra alors peser (je l’espère) de tout son poids auprès des structures étatiques afin d’influencer le fonctionnement des politiques de santé. Car en effet, les politiques de santé sont construites entre autres sur la base des études statistiques (épidémiologiques et RCT). Et dans une époque pas si lointaine peut être pourrons nous justifier d’une revalorisation à la hausse des actes de kiné…
    Je pense donc qu’il est important pour nous, kinésithérapeute de se saisir de ces outils et de les employer dans notre profession afin d’augmenter la reconnaissance de notre métier auprès du corps médical et scientifique.
    Mais aussi d’aider nos confrères qui se retrouvent parfois en suspend sur la pertinence de l’utilisation de nouvelles techniques.
    Phil

  2. Bonjour Julien,

    Merci pour cet article très intéressant, et merci de lancer le débat. A la lecture du post j’ai été surpris par le fait que tu insistes énormément sur 1 facette de l’EBP qui est celle des preuves, ne cacherais tu pas une petite scientite (1) à travers cela ? Tu n’intègres que bien plus tard les attentes du patient, où tu dis « l’Evidence Based Medicine a ajouté aux preuves scientifiques et à l’expérience du praticien, une troisième dimension qui concerne les préférences du patient ». Ce n’est pas un ajout ça fait tout simplement partie intégrante du triptyque ! La décision clinique repose sur ces trois aspects qui vont ensemble. Étant à présent à plein temps dans la recherche je mesure le gap et la mauvaise interprétation que les cliniciens peuvent avoir de celle-ci. Tout ce qui est dit au départ de l’article est vrai, les études cliniques et fondamentales ne reflètent pas la réalité ! Et l’on peut tenter de se rapprocher au mieux des conditions il y aura toujours des paramètres qui n’iront pas. Mais la raison est simple le job de la recherche (clinique) est de créer de la connaissance, une sorte de base sur laquelle la pratique peu se développer. Et pour cela on a besoin de certitude, donc on travail sur des « modèles », pas des joli(e)s sujets, mais des groupes où l’on contrôle les différents paramètres afin de pouvoir conclure de manière juste. Oui on regarde dans un trou de souris mais je dirais plus que l’on regarde par tous les trous du gruyère. Et petit à petit on apporte des éléments. C’est un processus long et fastidieux mais c’est une base nécessaire.
    Après la phase de « qu’est-ce que je tire de cela et comment je le mets en pratique » c’est le dur labeur du clinicien. Lors de ma pratique j’étais frustré d’utiliser des technique dont (1) je ne connaissais pas les effets biologiques et physiologiques et (2) je ne savais pas si ça avait déjà été testé sur des patients. Le processus de diagnostic différentiel (où de raisonnement clinique selon le terme à la mode en ce moment) est quelque chose qui prend tu temps à assimilé et qui est en perpétuel changement. Car OUI il faut être en accord avec le patient, maîtriser ce qu’on lui propose (technique), et savoir ce que l’on fait (données de la recherche). Je ne suis donc pas d’accord sur le fait que l’on délaisse le patient en pratiquant l’EBP et l’approche centrée patient n’est pas autre chose elle en fait partie. Pourquoi vouloir séparer les choses alors que justement tout conduit à être rassemblé ! L’EBP est pour moi une méthode humaine et pleine de bon sens où le thérapeute propose et accompagne le patient de manière éclairée et ne cherche pas au contraire à ne faire que « ce qui est prouvé ». Je terminerai sur une note d’optimisme car je suis persuadé que tout cela évolue dans le bon sens avec du dialogue et des échanges ! Construisons des ponts entre nos visions des choses et non des murs (2) ! Encore merci à toi pour ton travail toujours intéressant à lire.
    Matthieu G.
    1- Gedda, M. (2017). Médecine factuelle, pratique factuelle et indice de factualité 1.0 (i-FACT). Kinésithérapie, la Revue.
    2- https://criticalphysio.net/2017/07/20/reflections-of-a-quantitative-researcher-on-the-cpn-salon/

  3. Article très bien écrit.
    Je me pose les mêmes questions et j’ai très souvent cette très désagréable impression d’avoir le cul entre 2 chaises lorsque je dois prendre une décision thérapeutique. Je me sens moins seule.

  4. Bonjour, il est toujours intéressant d’avoir conscience des limites d’une approche thérapeutique et l’EBP comme d’autres en possède. Mais il faut voir aussi les limites des attentes du patient qui se fonde sur son environnement sociolo-culturel et ses croyances pour se projeter dans ses soins. Dans ce cas une approche scientifique de notre profession en plus de faire évoluer nos pratiques peut aussi amener nos patients et toute la société à changer de regard sur nos techniques et chasser certaines idées reçues qui parfois polluent leurs attentes.

  5. Bonjour,

    Attention à ne pas tomber dans le piège, ce que tu décris n’est qu’une partie de l’EBP ! Et en fonction de chaque cas, pas la plus importante en plus. L’EBP est beaucoup moins rigide que tu ne sembles le croire

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