Sonde connectée et périnée : bonne idée ?
Les appareils connectés sont en plein boum et la rééducation périnéale n’a pas été oubliée. En effet plusieurs sondes connectées ont fait leur apparition sur le marché ces derniers temps. La découverte de la sonde EMY de Fizimed et les échanges avec leurs concepteurs ne sont pas pour rien dans la genèse de cet article.
Pourtant quand je parle sonde connectée pour rééducation du périnée à des kinés spécialisés en rééducation des troubles liés au plancher pelvien, la réaction n’est pas tellement positive ! Voire même pour certains clairement négative, j’ai pu entendre que c’est un produit commercial complètement déconnecté des intérêts des patientes.
J’aimerais décrypter les raisons de cette méfiance et ensuite développer ma position par rapport à cette nouvelle opportunité de soins qu’apportent les sondes connectées.
Alors pourquoi cette réaction de méfiance, de réticence ?
Il ne faut pas se le cacher quand on parle d’utilisation d’une sonde connectée, l’idée d’une rééducation périnéale à domicile, à l’initiative de la patiente et sans professionnel de santé semble se profiler. Et le message commercial associé ne l’a d’ailleurs pas oublié, d’où peut être la méfiance des professionnels.
Rééduquer son périnée sans kiné, voilà un vrai motif de méfiance pour les professionnels de santé.
Et les kinés spécialisés ont de solides arguments pour défendre leurs compétences en termes de rééducation périnéale. Parce qu’un capteur connecté ou non, reste un capteur de pression donc si t’appuies dessus ça s’allume et donc c’est validé.
Le problème alors avec une sonde est par exemple que si on appuie sur la sonde en même temps qu’on l’expulse, certes cela allume le capteur mais on n’est pas du tout dans la physiologie utile du périnée.
Autre problème si une partie des muscles du périnée se contracte mais pas d’autres parties ou sinon de manière insuffisante, le capteur de pression (de forme ronde) est incapable de détecter qu’une zone ne travaille jamais.
A la lumière de ces arguments, l’utilisation d’une sonde connectée semble ridicule et on pourrait se dire que le kiné n’est pas près de se faire remplacer en rééducation du périnée.
Mais j’ai une approche un peu différente de ces nouveautés…
Un nouvel outil apparaît sur le marché et est considéré comme inquiétant voire dangereux en raison de la peur de donner de mauvaises informations aux patientes, de perdre notre boulot, nos compétences, de mal rééduquer les patientes, etc.
« On est en face d’un véritable problème de santé publique »
Mais la réalité est bien différente. Selon une revue de littérature récente (Lukacz 2017) 10 à 20% des femmes souffrent de fuites urinaires involontaires dans la population générale et plus de 77% des femmes sont atteintes d’incontinences urinaires en maison de retraite (Lukacz et al. Urinary Incontinence in Women: A Review. JAMA. 2017 Oct 24;318(16):1592-1604). A la vue de ces chiffres, on comprend rapidement que l’on est en face d’un véritable problème de santé publique.
Pourtant la grande majorité ne sait pas que cela est souvent réversible, « entraînable« , bref que l’on peut y faire quelque chose. En effet seulement 25% de ces femmes recherchent ou reçoivent un traitement pour ces fuites urinaires (Lukacz 2017).
Le constat est donc simple, actuellement, même avec les meilleures compétences du monde et la meilleure volonté du monde, on ne voit potentiellement qu’une patiente sur 4 ayant des symptômes liés à des troubles du plancher pelvien.
Alors si l’apparition des sondes connectées permet de toucher une plus grande part des patientes souffrant de fuites urinaires, je pense qu’il est temps de ne pas trouver ces appareils ridicules !
J’avais un a priori déjà positif sur l’intérêt des sondes connectées mais ce qui a fait évoluer mon discours, ce sont les échanges que j’ai pu avoir avec l’équipe d’EMY de Fizimed qui mise sur le partenariat avec les professionnels de santé.
Habituellement la rééducation périnéale s’effectue par des professionnels de santé (kiné ou sage-femme). Et je pense que l’on se trompe de combat si l’arrivée des sondes connectées ne fait pas germer un véritable partenariat pour appuyer le discours auprès de la population. Discours selon lequel les troubles urinaires (entre autres troubles liés à une dysfonction périnéale) ne sont pas une fatalité.
« Les troubles urinaires ne sont pas une fatalité »
Trivialement la vraie question est : peut-on rééduquer seul(e) à la maison ses troubles périnéaux ?
Pour une large majorité de la population, la réponse est claire… elles ne se posent même pas la question car elles ne savent pas que l’on devrait faire quelque chose pour y remédier. Et pour elles, plus le discours est large et notamment par l’intermédiaire de puissances commerciales ou d’associations de professionnels de santé pour informer la population et plus on a de chances de les sensibiliser.
Pour le reste, c’est-à-dire les 25% (1/4, 0.25 enfin trop peu !!! ) qui se posent la question, les discours qu’elles entendent sont variables.
Je crois qu’il y a d’un côté les professionnels de santé non experts (pour pas dire incompétents) pour qui la rééducation périnéale parait simple. Il suffit de faire du stop pipi et du gainage et si ça ne va pas, une sonde de biofeedback chez le kiné et ça ira mieux! C’est à mon sens ce qui dessert le plus les patientes car elles pensent avoir consulté un « professionnel » et se retrouvent avec une non efficacité et de mauvaises informations.
Et de l’autre les professionnels de santé, experts en rééducation périnéale, qui s’insurgent quand on parle de rééducation à la maison avec une sonde connectée, avec des bilans périnéaux non manuels, de ne pas faire remplir de questionnaires d’évaluation de la fonction périnéale, ou encore de la pratique d’exercices non adaptés à la fonction périnéale de la patiente… Bref de tout ce qui empêche une prise en charge qualitative des troubles du plancher pelvien.
Qu’apporte donc une sonde connectée en rééducation périnéale ?
Les entreprises derrière la mise sur le marché des sondes connectées devraient avoir une obligation éthique, de délivrer des informations de santé publique pertinentes pour essayer grâce à leurs publicités de toucher un maximum de patientes et notamment en se rapprochant de ce que font les associations de professionnels de santé et relayer leurs messages. Et il me semble que c’est le sens de la politique de communication de Emy d’après les échanges que j’ai pu avoir avec eux et notamment Paul Grandemange leur kinésithérapeute référent.
Concernant les professionnels de santé non experts, qui préconisent du stop pipi, du gainage et 10 séances de rééducation en post partum sans autre bilan qu’un interrogatoire succinct et des séances de sonde en biofeedback, allongée sur une table, je ne peux que me sentir honteux de partager le même diplôme qu’eux car ils contribuent à la chronicisation de symptômes qui impactent directement la qualité de vie et qui sont pourtant bien souvent réversibles. Pour ceux-là, une sonde connectée peut largement les remplacer surtout si elle donne des informations pertinentes en plus de permettre un travail quotidien.
Quant aux professionnels de santé experts, c’est avec eux que le travail de partenariat devrait être le plus vertueux. En effet, imaginons une patiente qui néglige, n’a pas le temps ou n’ose pas consulter pour ses troubles périnéaux. Si une brève recherche sur Google, lui permet de tomber sur cet « appareil miracle » qui pourrait guérir tous ces maux, la démarche n’est pas la même que prendre rendez-vous avec son médecin, lui en parler, prendre rendez-vous chez un kiné expert, y aller, et faire ses exercices à la maison. Je loue alors largement le parcours de soin Google->achat d’une sonde connectée->pratique d’exercices à la maison, mais à une seule condition ! Si et seulement si, un questionnaire pertinent et validé permet à la patiente de faire état de ses symptômes et troubles fonctionnels (et pas uniquement les résultats d’un capteur de pression issus de la sonde) ET réoriente quand nécessaire la patiente vers un professionnel de santé en l’informant que ses troubles nécessitent une prise en charge spécialisée.
Lors de la consultation d’un professionnel de santé expert, un bilan initial précis lui permet d’adapter des exercices pertinents pour la patiente, 1 ou 2 fois par semaine au cabinet poursuivis par des exercices à la maison. Il me semble que les sondes connectées, ont un côté ludique, pratique, avec des effets mesurables qui permettent une meilleure observance des exercices à la maison.
C’est bien plus marrant et plus facile à caser dans son emploi du temps des exercices avec une sonde discrète dans un étui adapté, connectée à son téléphone portable que d’aller chez le kiné avec sa sonde dans son sac plastique que l’on branche sur l’appareil du kiné…
Ce devrait également être, pour les kinés experts, une aide précieuse de pouvoir fournir à la patiente des exercices quotidiens à la maison avec un temps et surtout des qualités de contractions (force, endurance, « répétabilité ») personnalisables. Le kiné pourra alors débriefer les résultats des exercices effectués (visibles sur l’appli) avec la patiente et réadapter les contenus entre chaque séance. Bref, un moyen efficace d’améliorer la qualité de nos prises en charge…
On pourra toujours opposer le prix de ces sondes pour le budget de nos patients, c’est sûr qu’à côté de nos 16.13€ la séance ça fait rager. Mais pour celles qui peuvent se le permettre, il me semble que c’est une chance.
Autre point d’accroche, la crainte que ces appareils connectés soient un jour remboursés par la sécu sans supervision d’un professionnel de santé…
On ne prend pas la mesure des symptômes et signes fonctionnels qui persistent après la fin de la rééducation post-partum et pour lesquels les femmes n’ont plus le temps ou le courage de reprendre des rendez-vous avec le kiné. Et pourtant ce n’est souvent pas faute de leur avoir donné l’information , « si vous avez encore des signes, des pesanteurs ou des troubles quelconques revenez au moins pour que l’on fasse un bilan. » Mais combien reviennent réellement ? L’intérêt d’avoir une sonde à la maison permet de certes faire des exercices après la rééducation mais surtout est une source de motivation pour s’occuper de ces troubles et du coup de rester dans la boucle de soins.
Quoiqu’il en soit les professionnels experts peuvent se rassurer, comme le dit une amie très spécialisée dans la rééducation périnéale (Chloé c’est pour voir si tu as lu l’article jusqu’au bout, merci pour les corrections !) il y a tout de même peu de chances pour que les patientes qui avaient l’habitude de consulter un professionnel se détournent du parcours de soins classique en raison de la confiance envers leur thérapeute ou du coût de la sonde par exemple. Il faut plutôt voir ces appareils connectés comme un moyen de toucher de nouvelles patientes qui, de fait, seront plus sensibilisées et donc auront envie d’avoir de plus amples informations sur le sujet (là encore soumission d’idée de Chloé 😉 ) et dont les troubles ne seront pas forcément tous guéris après un cycle de travail avec sonde à domicile.
Mon point de vue, dans un monde idéal (mais Kobus a réussi à le faire) est de créer une communauté d’experts qui pourra faire avancer l’application notamment les informations données aux patientes ainsi que l’évaluation de critères fonctionnels permettant d’alerter certaines patientes sur la nécessité de consulter un professionnel de santé.
Bienvenue dans le monde du périnée 3.0… 1.0 c’est le kiné dans son cabinet, 2.0 la sonde connectée, 3.0 l’expertise du professionnel assistée par la sonde connectée…
Pour info, j’ai reçu une sonde EMY en test, alors je ne manquerai pas de vous faire un retour de patiente après 2 mois d’utilisation. Suite au prochain épisode…
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