Interview de Bruno CHATAIN, kiné des équipes de france de patinage de vitesse
Bonjour Bruno, nous nous connaissons depuis longtemps, c’est donc avec plaisir que je réalise cette interview aujourd’hui.
Tu es masseur-kinésithérapeute depuis 2009, et cela fait déjà 3 saisons que tu interviens auprès des équipes de France de patinage de vitesse. Pourrais-tu nous expliquer ce qui t’a amené à la profession de kinésithérapeute du sport?
Très tôt, j’ai eu cette volonté d’évoluer professionnellement dans le sport. Tu es bien placé pour savoir que j’en pratique, depuis de très nombreuses années, à travers le rugby et j’avais pour souhait de continuer professionnellement dans cette voie. Les quelques heures passées chez le kiné, durant l’adolescence, pour soigner quelques blessures de match m’ont confortées dans ce choix. Selon moi, le sport véhicule des valeurs qui m’ont construites et qui me correspondent.
Tu as suivi une formation de Kinésithérapeute du Sport mais tu as également une grande expérience de terrain. Pourrais-tu expliquer à nos lecteurs, quelles sont les choses qui t’ont été utiles dans ta formation et celles qui t’ont plutôt été apportées par l’expérience de terrain?
J’ai effectivement suivi dès 2010 une formation en kinésithérapie du sport et en thérapies manuelles afin d’acquérir des connaissances, des techniques de travail compatibles avec la prise en charge globale du sportif et tenter de répondre aux exigences du Haut-Niveau. Il est essentiel de se former afin de pouvoir être plus efficace, mais en aucun cas ceci ne peut se substituer à l’expérience du terrain et à la proximité qui s’instaure avec un athlète. Le terrain t’apprend les gestes techniques spécifiques à la discipline, l’approche individuelle et collective de l’athlète aux abords de la compétition, le travail de collaboration avec l’ensemble du staff au sein d’une fédération. Les deux sont indissociables pour évoluer et progresser dans ce milieu.
J’entends souvent dire que pour travailler au sein d’une équipe de France, il faut être pistonné. Personellement, je préfère parler d’opportunités. Penses-tu avoir été pistonné pour ce poste? Et sinon quelles sont les points forts qui t’ont permis d’obtenir ce poste?
La première idée est très réductrice! C’est effectivement une question d’opportunité, mais selon moi c’est également une histoire de rencontres, de passion.
J’ai eu la chance de faire la connaissance au cours de ma vie de deux patineurs sur glace dijonnais, d’abord Thibaut Fauconnet puis Maxime Chataignier, qui m’ont fait connaître et aimer leur discipline injustement méconnue : le Short-Track (patinage de vitesse sur courte piste). Sans cela, je serais peut-être comme beaucoup (trop) de monde à ignorer l’existence de ce sport. Je pense que tu ignorais même que le pôle France était basé à Dijon jusqu’en 2008, et que les plus grands champions français viennent d’ici!
J’ai été séduit par cette discipline qui allie vitesse, stratégies de course, « fighting » et surtout beaucoup de folie. Désireux d’évoluer dans la Kiné du Sport et encouragé par Thibaut, qui était confiant en moi et en ma motivation, j’ai proposé mon intervention au sein de la Fédération Française des Sports de Glace durant ma dernière année d’IFMK (2009). Autant dire que mon CV ne pesait pas bien lourd, je me rappelle encore avoir notifié dans le détail tous mes stages de 2ème et 3ème années! Pas découragé par leur manque d’intérêt à mon égard, j’ai étoffé mes compétences, pris de l’expérience, et je me suis permis de les relancer ponctuellement.
"mon CV ne pesait pas bien lourd, je me rappelle encore avoir notifié dans le détail tous mes stages de 2ème et 3ème années!"
En janvier 2012, les deux intervenants Kinés ont été dans l’indisponibilité de se rendre aux championnats d’Europe, c’est alors qu’ils ont fait appel à moi à titre de « remplacement ». J’ai pris cela comme une belle opportunité, sans m’imaginer un seul instant qu’il y aurait une suite. La compétition s’est bien déroulée tant au niveau des résultats sportifs qu’au niveau de mes prestations. La saison s’est écoulée avec un conflit entre le médecin de l’équipe et un des kinés, conflit qui s’est conclu par le départ de ce dernier. C’est ainsi que j’ai pu intégrer officiellement l’équipe dès la saison suivante. Mes liens d’amitié ont été un plus après avoir intégré le staff, car il est plus facile d’appréhender l’athlète aux abords d’une compétition lorsque l’on connaît comment il fonctionne.
Enfin, ma « sélection » pour les J.O a été décidée en concertation avec les entraîneurs, le staff médical et par le DTN, non pas par « copinage » ou par « piston ».
Pour répondre à ta seconde question sur mes éventuels points forts, je dirais surtout que j’ai une immense envie de bien faire et d’être le plus performant possible dans ma pratique pour que mes athlètes le soient sur la glace. Je suis un passionné, par ma profession et par le sport dans lequel j’évolue. Enfin, j’ai un rapport avec l’athlète, un discours et une vision des choses qui passent plutôt bien auprès d’eux. Et cela, c’est propre à chacun.
"Je suis un passionné, par ma profession et par le sport"
Tu as effectivement fait parti des Kinés de la délégation française aux Jeux Olympique de Sotchi en 2014. Peux-tu nous raconter ta vision des Jeux de l’intérieur car forcément tu y vas en tant que professionnel pour travailler mais tu y mets forcément ton regard de sportif, tes rêves d’enfant, etc?
Tu t’en doutes, ma participation en tant que kiné aux J.O a été une expérience incroyable et solennelle. Un rêve de gosse comme tu l’as dit.
Je suis resté à Sotchi durant la totalité de l’événement et j’ai pu mesurer la grandeur du « phénomène », observer tous les éléments qui gravitent autour du sportif, que ce soit l’effervescence du public, la sollicitation médiatique, les attentes des fédérations, les pressions « externes » qui en découlent et qui se surajoutent à celles que se met le sportif qui prépare cet événement pendant 4 ans.
De plus, un athlète provenant d’une discipline « mineure » et peu médiatisée comme le Short Track, a cette pression supplémentaire de vouloir décrocher une médaille olympique dans le but de promouvoir son sport, et d’attirer des financements. Les leaders portent en quelque sorte l’avenir de leur sport sur leur dos, sans exagération.
Si je devais tirer des conclusions simplistes, je dirais que réaliser un classement égal à son niveau (ex : faire un top 10 aux JO chez un numéro 10 mondial) est déjà en soi une incroyable performance, tant la pression exercée par les éléments cités sont décuplés durant cette période. Il en est de même pour un favori attendu qui arrive à s’imposer.
Le public et les fédérations se veulent souvent critiques face à certaines contre-performances, mais ils ne s’imaginent pas « l’usure mentale » et le stress inhabituel que peut procurer ce genre de sollicitations, même sur des « esprits » habitués et préparés, surtout sur une période aussi longue. Ne pas s’éparpiller, rester dans sa compétition, concentrer ses forces pour être le plus performant le jour J, devient un travail de chaque instant.
Nous étions deux Kinés à chapoter les patineurs sur glace, que ce soit pour l’artistique et la vitesse (Short Track et longue piste) soit 14 athlètes. Nous devions avoir une présence lors de leurs compétitions, leurs entraînements, tout en assurant les soins de récupération et les traitements au milieu de tout cela. Une sacrée organisation!
Le grand public pense que les kinés du sport d’équipes de France sont payés comme des grands sportifs ultra médiatiques… Pourtant tu continues le libéral en parallèle de tes activités de kiné de Fédé, tu ne préférerais pas allez manger avec Zlatan ou Tiger Woods?
Absolument pas. Déjà parce qu’ils parlent anglais et qu’on aurait de ce fait pas grand chose à se dire….. Plus sérieusement, il est clair qu’il ne faut pas intégrer le milieu du sport de Haut-Niveau en tant que kiné pour se faire de l’argent, hormis dans les grandes structures de « sports business » ou à t’occuper personnellement de grandes stars.
Tu gagneras plus à rester faire tes soins dans ton cabinet. Toutefois, « l’enrichissement » est ailleurs, tu l’auras bien compris.
J’ai la chance d’évoluer avec un groupe composé de personnages intéressants, au caractère bien trempé mais qui gardent toujours les pieds sur terre. C’est un plaisir de les côtoyer et d’échanger avec eux sur leurs expériences. Il poursuivent tous des études supérieures (STAPS, Écoles de commerce, etc), le plus souvent par correspondance car ils s’entraînent deux fois par jour, six jours sur sept.
De part leur discipline, ils ont donc tous les « inconvénients » du sportif de haut-niveau (contraintes horaires, sociales,….) sans en avoir tous les avantages (rémunération, reconnaissance médiatique…).
Ils mériteraient bien, comme beaucoup d’autres sportifs méconnus, qu’on leur réserve un autre sort.
Tu pars souvent à l’étranger, on imagine le Kiné du Sport d’une équipe de France pouvoir travailler avec des chambres de cryothérapie, des ondes de choc, du matériel de presso, des électros, etc. Mais dans la réalité et surtout dans les petites fédérations, il est impossible de se déplacer avec autant de matériel. Quels sont les outils qui te suivent sur les compétitions?
Et bien, je vais t’étonner en te disant qu’on dispose depuis peu, de bottes de pressothérapie pour la récupération. C’était un mini-événement je dois le dire.
Sinon je dispose d’un appareil d’électrothérapie (qui est peu utilisé) et d’une table de massage portable qui est de loin mon meilleur allié car masser, mobiliser, manipuler sur le lit de la chambre d’hôtel, un vrai calvaire!
Sinon, j’ai une trousse (para)médicale « classique ».
Les indispensables : éponge hémostatique et vessies de glace. Et oui, ça reste un sport à risque.
…et le drapeau français. Pour « colorer » le vestiaire et le brandir dans la victoire.
Je sais que tu es passionné de nutrition, notamment tu as une formation très poussée en micronutrition, as-tu réussi à faire passer des choses auprès des sportifs que tu suis?
Je me contenté pour le moment de leur distiller des conseils, de répondre à une partie de leurs problématiques. Je ne les vois quasiment que pendant leur semaine de compétition, et un travail pertinent se fait sur le long terme. Disons qu’ils sont briefés durant cette période, libres à eux de m’écouter! Mais généralement, ils le font. C’est intéressant pour moi de me confronter, lors des repas proposés par les hôtels des pays hôtes, aux aliments divers et variés (asiatiques, turcs, etc.) et de tenter de leur composer une « assiette-type ».
Mais il est clair qu’à terme, je souhaiterais m’investir beaucoup plus dans leur suivi dans ce domaine. Il n’y a plus qu’à convaincre la fédération…..
Quels sont les conseils que tu pourrais donner à un kiné qui aimerait vivre le sport de haut niveau de l’intérieur?
Je dis toujours qu’il faut être aussi exigeant avec soi que le sont les sportifs de Haut-Niveau avec eux-même. Il faut être le plus performant possible et réunir toutes ses compétences au service de l’athlète afin que celui-ci le soit aussi. Cela passe par les formations, par le travail, par l’expérience. Ce milieu tolère difficilement l’erreur et l’imprécision, il est donc indispensable de se remettre régulièrement en question. Autant il est parfois difficile d’intégrer et exercer dans le sport de haut niveau, autant il est très facile d’en sortir.
Donc surtout, ne jamais croire que sa place est acquise. Et enfin ne pas se prendre pour le champion du Monde de la Kiné sous prétexte qu’on porte un maillot « France »!
Merci Bruno pour cet honnête partage d’expérience. J’espère que nos lecteurs auront autant plaisir à te lire que moi à réaliser cet interview.
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