A 30 ans, j’ai fermé mon cabinet de kiné
Bonjour Jérémy, je te présente en quelques mots : tu es Kiné depuis 7 ans, tu travailles en Lorraine et tu es titulaire d’un cabinet que tu as créé.
Il y a 3 mois environ tu as décidé de stopper ton activité. Que s’est-il passé ?
Bonjour Julien, effectivement après plusieurs mois de réflexion j’ai franchi le pas. Les difficultés étaient pourtant colossales : dénouer le lien avec la patientèle et les prescripteurs, gérer la revente du matériel et l’administratif. Cette décision était difficile mais je ne la regrette pas du tout.
Quelles ont été tes motivations ?
Un ras-le-bol général : les journées à rallonge, les contraintes administratives, les impayés, les retards et annulations des patients, les exigences toujours accrues, un système médical qui peine à nous faire confiance, bref j’ai commencé à douter.
Quand je dis douter, ce n’est pas douter du métier, je suis un passionné. Ma question a été : est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle ?
Pour être plus pragmatique et plus clair, est-ce que mon salaire et la satisfaction que me procure mon métier vaut le mal que je me donne ? Est-ce que dans quelques années, lorsque je me retournerai sur ma carrière, je serai satisfait de ce choix de vie ?
Ma réponse avait toujours été oui ! Parce que je me dévouais, que le dévouement c’est noble, et qu’en plus ici, ça soignait les gens.
Mais c’était sans compter sur l’arrivée et mon premier enfant… Car quand le pédiatre m’a dit : « Votre fils se couche trop tard Monsieur » ! Moi j’ai répondu : « Mais Docteur, si ma femme le couche plus tôt, je l’vois pas ! » (NDLR: A lire avec l’accent lorrain!)
Et c’est à ce moment que j’ai pris conscience qu’en fait non, le dévouement professionnel a une limite, et que je venais de l’atteindre.
Toujours pour être clair, il m’a semblé, à ce moment-là de ma vie, que mes compensations d’investissement professionnel, c’est-à-dire 2000/2200€ par mois avant impôts, une couverture retraite médiocre et une réelle affection pour mes patients et mon cabinet, n’était plus, à ce jour, des arguments suffisants pour continuer mon activité en l’état, sans que quelque chose ne change.
Alors je me suis donné un deadline. Une belle deadline… deux ans.
Je me suis laissé deux ans pour trouver une solution. Solution qui devait me permettre simplement de :
- vivre normalement de mon métier,
- faire ce pour quoi je suis spécialisé,
- et le tout en 40h/semaine max…
Alors j’ai embauché une secrétaire, j’ai recruté deux assistants-collaborateurs et j’ai managé tout ça. Ça a été… un temps… Mais ce que j’ai gagné en temps de prise en charge, je l’ai perdu en gestion et ce que j’ai gagné en argent, je l’ai consommé en charge.
Et puis la deadline est arrivée à échéance, et comme il n’était pas question que je bâcle mes prises en charge, j’ai maintenu le cap, et j’ai fermé.
Ça n’a pas dû être facile. Comment t’y es-tu pris ?
J’avais toujours fait de mon mieux dans mon cabinet, il n’était pas question que je ferme brutalement.
J’ai défini mes propres modalités : date précise de départ, arrêt de nouvelles prises en charge 2 mois avant. Puis j’ai hiérarchisé l’annonce de mon départ.
J’ai d’abord pris rendez-vous avec le Maire du village pour lui faire part de ma décision, puis j’ai appelé les médecins avec lesquels je travaillais beaucoup, j’ai envoyé des courriers aux médecins avec lesquels je travaillais moins. Ensuite, j’ai prévenu nos confrères, en leur transmettant toutes mes coordonnées pour qu’ils puissent me contacter si besoin était. Et pour finir je l’ai annoncé à ma patientèle. D’abord de vive voix pendant 2 semaines, puis par le biais d’une pancarte dans la salle d’attente. J’ai également appelé certains de mes patients, qui n’étaient pas actuellement en soin, mais avec lesquels j’étais proche, pour les prévenir.
Et techniquement ?
J’ai passé une annonce pour céder mon cabinet à un potentiel confrère, je n’ai pas été contacté.
Par contre il m’a été très facile de vendre mon matériel, j’ai reçu bon nombre de coups de téléphone de personnes qui voulaient ça ou ça. Même des patients voulaient m’en acheter !
Mais j’ai préféré chercher un client pour l’ensemble, je ne voulais pas faire de « pack ». Je craignais qu’il ne m’en reste sur les bras, alors j’ai contacté un fournisseur, qui a accepté de tout reprendre.
Sacrée étape de franchie ! Et du coup maintenant tu vas faire quoi ?
Là je prends un peu de temps pour moi en passant un Master 2 d’Ingénierie de la Rééducation, du Handicap et de la Performance Motrice qui est la suite logique d’un D.U. de Thérapie Manuelle que j’ai. Je finance mon Master notamment avec la revente du matériel. Ensuite, je vais faire un peu de salariat le temps des 6 mois de stage obligatoire de mon M2.
Et dans l’avenir ?
Ma motivation pour notre métier est intacte, elle aurait même tendance à augmenter avec les années. Car malgré les difficultés que j’ai citées précédemment, je trouve que nous vivons une décennie fabuleuse. Un véritable essor international, scientifique et universitaire de la physiothérapie et une volonté commune de tirer le métier vers le haut.
Je pense à l’avenir partager mon temps entre l’enseignement et une activité libérale mais avec des modalités particulières : définir un champ d’activité strict et m’y conformer, mettre en place, avant même de démarrer une nouvelle activité, des procédures systématisées de bilans, de chemins et d’éducation thérapeutique et travailler davantage sur la prescription d’exercices à la maison. Et mettre en place le paiement à l’acte !
Merci pour ta sincérité, peut-être que certains se reconnaîtront dans ton témoignage. Est-ce que tu as un conseil à donner à qui voudrait faire comme toi ?
Fermer son cabinet, c’est un peu comme un saut dans le vide, on ne sait ni comment faire ni quand le faire. Alors que, si les choses sont faites avec honnêteté, respect et anticipation, ça n’est ni difficile ni égoïste. C’est un excellent moyen pour retrouver sa liberté d’entreprendre, son épanouissement professionnel et donc au final, mieux soigner. Donc mon conseil est : si vous ne vous sentez plus bien dans votre cabinet, fixez-vous une deadline, menez à bien les projets en cours, anticipez, et si vous ne changez pas d’avis à échéance : retrouvez votre liberté !
Merci Jérémy
Merci Julien
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