La kiné c’est démodé?

La lecture de Physiotherapy: The Impossible Profession de Chris Worsfold m’a interrogé un peu plus que je ne m’attendais…

Je vous préviens tout de suite, je ne vais pas faire l’unanimité avec cet article.

Est-ce que la kiné est démodée? Nous sommes peut être en droit de nous poser la question voire même d’y répondre par l’affirmative.

En effet, la grande majorité de la littérature scientifique est assez unanime sur les preuves: la plupart de nos techniques couramment employées ne sont pas plus efficace qu’un placebo.

Alors à quoi bon?

En tout cas, c’est l’état actuel de la science sur le sujet aujourd’hui. Avec un peu d’espoir, on peut imaginer que nous n’en sommes qu’aux prémisses de la science en kinésithérapie et que les preuves de notre efficacité sont à venir. Nous avons bien les preuves de l’efficacité pour les lombalgies de la Méthode McKenzie ou encore les bienfaits de l’activité physique sur la BPCO mais est-ce bien encore de la kinésithérapie comme on la connait car on ne touche quasi plus le patient dans ces deux prises en charge (ce que les anglophones appellent le hands off)? Alors attention, l’avenir de notre profession passe également par l‘amélioration des techniques et/ou approches hand off avec ou sans hands on. Ce n’est pas le sujet que je veux aborder ici.

Selon moi, le fond du problème n’est pas vraiment là, l’article de Worsfold le montre bien d’ailleurs.

En effet, force est de constater un fait majeur, à l’heure où les nutritionnistes, les profs APA, les ostéopathes et autres naturopathes semblent avoir voix auprès de nos patients autant que nous, nos concitoyens-patients ne sont pas en pleine forme.

Quand je dis que nos concitoyens ne sont pas en pleine forme, c’est presque naïf car la réalité est encore plus dure.

Le poids

  • 50% d’entre nous sont obèses ou en surpoids (54 % des hommes et 44 % des femmes étaient en surpoids ou obèses (IMC ≥ 25)).(Etude Esteban)
  • 1 enfant sur 6 est en surpoids ou obèse(Etude Esteban)

Le sport

  • 4 personnes sur 6 n’ont pas 2h30 d’activité modérée (ou 75minutes d’activité intense) par semaine comme le recommande l’Organisation Mondiale pour la Santé (Etude Esteban)
  • En 1971, un enfant courait le 800 mètres en 3 minutes, contre 4 aujourd’hui.(Grant Tomkinson)
  • Plus d’une personne sur 2 n’a pas fait de sport le mois dernier.

La santé mentale

Le sommeil

Quand on y réfléchit bien, combien de nos patients souffrent de conséquences de ces problèmes? Et que peuvent réellement nos mains sur l’origine profonde de ces problèmes?

Si le kiné, en tant que professionnel de santé, veut impacter réellement la santé publique comme il prétend le faire, ne devrait-il pas s’attacher à changer ces différents aspects que sont l‘activité physique, la nutrition, la santé mentale et le sommeil?

On me répondra que les troubles musculo-squelettiques sont également un fléau dans notre société, oui mais par quels moyens scientifiquement validés doit-on les aborder? Et par quelle approche économique peut-on rentabiliser notre intervention aux yeux de la société? On peut se poser la question d’une autre façon, quel serait le pourcentage de troubles musculo-squelettiques chez des travailleurs actifs, pratiquant une activité physique régulière, sans surpoids, avec un quota de sommeil adéquat et un stress professionnel faible?

J’entends déjà mon pote Rafou dire que je suis aigri mais sincèrement, les apports financiers de toute part favorisant la pratique de l’activité physique, adaptée ou pas, ne semble-t-elle pas justifiée à la lumière de ces statistiques? En gros, n’est-on pas en plein virage à 180° entre l’investissement dans les soins et l’investissement dans la prévention?

prévention en kiné

Et si j’étais ministre de la santé d’un pays, aurais-je vraiment envie d‘augmenter le nombre de kinésithérapeutes ainsi que leur rémunération si ils ne s’occupent qu’à peine du niveau d’activité physique de mes concitoyens?

Autre question que l’on peut se poser, qu’est-ce que la société acceptera de payer si je ne fais pas d’activité physique, que je ne fais pas attention à ce que je mange et que je ne dors pas suffisamment? Alors attention, la part sociétale pèse lourd dans la cause des problèmes de sédentarité, la pratique sportive est plus faible dans les milieux défavorisés, le taux d’obésité est fortement corrélé à la classe sociale, les temps de transport, donc de perte de sommeil, augmente avec la diminution des revenus des gens… Et là je ne suis pas sûr que le kinésithérapeute soit acteur du changement de la société à ce niveau. Mais pour certains d’entre nous, n’est-il pas plus utile de marcher 30min par jour plutôt que d’aller se faire masser le dos (je caricature!) 3 fois par semaine?

massage blog du kiné

N’est-il pas tant d’arrêter de papouiller nos patients, de leur faire craquer les vertèbres lombaires ou encore de faire fonctionner EDF à base de lampes infrarouges, ultrasons et autre électrostimulation? Et sur 30min de séance, même pour ceux qui font de la kinésithérapie active, est-on aussi efficace pour la santé que 30min de marche quotidienne?

Tant que la sécu paie ça va…

Alors très sérieusement, si vous étiez ministre de la Santé, que vous ayez conscience des principales causes de maladies qui font souffrir la majorité d’entre nous, que feriez-vous?

N’encourageriez-vous pas la promotion, par tous les moyens, de l’activité physique? N’appuyeriez-vous pas les projets visant à une meilleure alimentation? Ne feriez-vous pas d’effort pour améliorez l’information sur le sommeil? Ne mettriez-vous pas une petite pièce sur l’éducation au sujet du stress, des émotions dès le plus jeune âge ?

Sur ces priorités, le rôle du kinésithérapeute est certainement à chercher du côté de la pratique de l’activité physique notamment en terme de prévention, d’information et d’éducation des patients. C’est bien là le virage de la prévention. Mais certains sont déjà là pour faire ce travail et pour bien moins cher que nous. Alors il ne s’agit pas seulement de faire de la prévention, chose que nous ne faisons pas encore mais surtout il va falloir faire mieux et de manière efficace, c’est à dire mesurable en terme de santé publique et non en terme de satisfaction patient.

Le kinésithérapeute de l’avenir sera principalement promoteur de l’activité physique chez les personnes atteintes de pathologies particulières, d’autres resteront kinésithérapeutes spécialisés sur certaines pathologies spécifiques (pédiatrie, neurologie, musculo-squelettique, cardia-respi, etc.).

Mais y aura-t-il sincèrement de la place pour payer à hauteur de ce que l’on gagne aujourd’hui, les 100000 kinés que nous seront bientôt en France? J’en doute…

Le changement se fera-t-il dans la joie ou là douleur?

Et puis même si on prend se virage que les indicateurs semblent nous montrer, quid la relation humaine qui est une de nos forces actuellement dans le monde de la santé?

Je signe peut être là l’article le plus polémique de mon blog mais j’avais besoin de confronter ces ressentis avant que le bateau ne coule…

 

 

 

 

 

 

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14 commentaires

  1. 100% d’accord avec toi! Je reste optimiste dans la mesure où notre action restera toujours thérapeutique. D’ailleurs, kinési (mouvement) thérapie (soin) nous donne étymologiquement la légitimité nécessaire pour résoudre un problème mécanique avant un retour à la fonction ( travail, sport et loisirs). Nous resterons les spécialistes de la thérapie par le mouvement. Hands off ne signifie pas que personne ne bouge, au contraire, cela peut déclencher un déclic chez le patient puisqu’il devient acteur et non spectateur de sa rééducation, et par conséquent plus actif. A nous de devenir de bons guides.

    • Merci de ton message. Effectivement la kinési-thérapie a peut être la meilleure étymologie pour effectuer le virage…

    • A nous aujourd’hui de se rapprocher de la définition apprise en cours de quest ce quest 1 patient: être biopsychosocial…
      En 2ans d’expériences, je me demande aujourd’hui si je ne devrai pas proposer aux syndicats une nouvelle cotation qui permettrait la prise en charge des Lombalgies/cervicalgies pour causes de stress/malbouffe…
      Ou de demander un tarif de psychologue/psychiatre… oui parce que mon métier initialement technique et soit disant methodique/mécanique est en fait surtout psychologique et psychique… Je trouve…
      Cet article est royal parce quil permet de mettre en avant malgré nous la plus grande efficacité de toutes les médecines parallèles que beaucoup d’entre nous dénigrent…

      Je sais pas où on va… Mais on y va.
      Et ps: entièrement d’accord avec vous cher auteur de cet article!

  2. Je trouve dommage ce virage hands off… je m’explique… Je pense qu’au dela du soin, notre société manque de contact. Je crois que nous ne devrions pas oublier ce besoin fondamental humain. En tant que kiné, nous sommes les thérapeutes qui touchons régulièrement des patients et je crois que c’est très important. Enfin ce n’est que mon avis

  3. Julien, je te soutiens totalement et te remercie pour cet article !
    Je ne manquerai pas de lire la source également !!

    Certes, le thème est polémique, mais à un moment donné il faut dire les choses.

    Il faut se sortir de sa petite vision de la santé basée sur le système de soin uniquement, et encore, en le voyant depuis un prisme minuscule qu’est celui du traitement « physique » des pathologies Musculo-Squelettiques.

    Intégrer cette vision moderne de la douleur, qui nous apprend qu’elle va beauuucoup plus loins que la simple prise en charge biomécanique.

    Intégrer l’esprit critique qui nous amène à délaisser ou reconsidérer 90% de nos techniques…

    Et accepter que notre profession va devenir de plus en plus une profession d’accompagnateurs, de conseillers en santé, avec une vision moderne et globale alliant au minimum une évaluation de qualité, des connaissances en psychologie / arts de la communication, modulation des croyances et éducation du patient…

    Sujet à développer, à approfondir, et merci pour ce coup d’envoi !!!

  4. je ne reprendrais qu’une petite partie : « N’est-il pas tant d’arrêter de papouiller nos patients, de leur faire craquer les vertèbres lombaires ou encore de faire fonctionner EDF à base de lampes infrarouges, ultrasons et autre électrostimulation? Et sur 30min de séance, même pour ceux qui font de la kinésithérapie active, est-on aussi efficace pour la santé que 30min de marche quotidienne?  »

    c’est oublier la part psychologique du patient qui subit 2000 ans d’éducation judéo-chrétienne gréco-latine et le célèbre geste miraculeux :  » lève toi et marche  » …. voila ce qu’on vient chercher chez nous . les patients sont ils près à faire des efforts par eux memes ou attendent ils d’etre « papouillés  » par nos soins ?

    • C’est ce que viennent chercher beaucoup de nos patients mais ça ne les soigne pas, ça leur apporte seulement un mieux-être passager. Et c’est ce qui coûte hyper cher à la sécu, car le fond du problème est là.
      C’est pour ça que l’Education du patient est la chose la plus importante à développer, à mon avis. Et c’est d’ailleurs l’axe de travail de notre ministre de la Santé.

  5. Article super intéressant qui pose les bases de l’avenir.

    En effet l’explosion de notre démographie risque de poser problème lorsqu’on va se mettre à regarder vraiment les soins dans lesquels nous apportons une réelle plus value …

    Quand on voit la démographie des kinésithérapeutes dans les pays anglo saxons par exemple …

  6. Merci Julien! Tout à fait d’accord ! Et depuis 5 ans j’ai déjà pris ce virage…
    Je n’ai plus exactement La même clientèle et je me sens mieux …

  7. Je citerai le discours de P Matthieu, présidente du CNO, en ouverture de la conf de l’ordre à Paris: «Nous allons passer d’une profession réalisant une prise en charge individuelle thérapeutique à une profession réalisant une prise en charge préventive de groupe».
    Enfin c’était à peu près ça; c’est exactement ce que décrit ton article.
    Le problème qui en découle c’est qu’il faudra beaucoup moins de professionnels….
    Le Raphou dit ça parcequ’il est tout maigre, et que ça le rend jaloux.

  8. Article très intéressant qui pose plusieurs questions essentielles sur notre avenir, merci pour ça ! Il me semble cependant que nous kinésithérapeutes ne seront pas les seuls concernés par ces changements. Si on regarde le nombre ahurissant de traitements médicaux actuels jugés peu utiles voir inefficaces (je vous recommande de regarder par exemple l’efficacité des traitements contre les troubles du sommeil) et l’importance croissante que devrait prendre l’application personnelle d’une meilleure hygiène de vie. Ou encore l’efficacité très discuté des traitements chirurgicaux sur les pathologies du dos, ou même sur les opérations des ligaments croisés, qui sont de moins en moins nombreuses avec de plus en plus de patients qui ne font que de la rééducation. Il me semble que c’est tout le système de santé dans sa globalité qui devrait être repensé à l’avenir, avec beaucoup de soins actuels inutiles et une part allouée à la prévention qui ne devrait qu’augmenter. Peut être que nous sommes un peu trop centré sur notre profession quotidienne (ce qui est bien compréhensible) pour nous rendre compte qu’en réalité on retrouve un peu les même problématiques qui se posent et vont également compter à l’avenir dans les autres professions de santé.

  9. L’inefficacité de certains traitements n’étant pas encore démontré, j’arrive à la limite à comprendre que certains de mes confrères les utilisent…ce que je ne parviens pas à comprendre, c’est le pourcentage non négligeable (majoritaire ?) de cabinets qui utilisent des ultrasons par exemple, alors qu’il a été démontré par des méta analyses qu’ils n’avaient pas plus d’effet qu’un effet placebo. Le père Stanish doit se retourner dans sa tombe.
    Pour ceux que ça intéressent voici une liste non suggestive de ce qui ne sert strictement à rien: électrodes, lampes chauffante, massage, préssothérapie, TENS, LPG, ondes de choc dans plus de 50% des cas, TRUST.

    Merci pour l’article et pour ton courage !

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